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vement réelle qu’il nous attire et nous force à prendre part à ses intérêts ; pareil aux créations de la nature, il est le développement d’un principe intérieur en vertu duquel ses discours et ses actes apparaissent comme naturels et par conséquent comme nécessaires. Celui qui croit que dans le monde les diables ne vont jamais sans cornes et les fous sans grelots sera toujours leur proie ou leur jouet. Ajoutons encore à tout cela que, dans leurs relations, les gens font comme la lune et les bossus, c’est-à-dire qu’ils ne nous montrent jamais qu’une face ; ils ont même un talent inné pour transformer leur visage, par une mimique habile, en un masque représentent très exactement ce qu’ils devraient être en réalité ; ce masque, découpé exclusivement à la mesure de leur individualité, s’adapte et s’ajuste si bien que l’illusion est complète. Chacun se l’applique toutes les fois qu’il s’agit de se faire bien venir. Il ne faut pas plus s’y lier qu’a un masque de toile cirée, et rappelons-nous cet excellent proverbe italien : « Non è si tristo cane, che non meni la coda » (Il n’est si méchant chien qui ne remue la queue).

Gardons-nous bien, en tout cas, de nous faire une opinion très favorable d’un homme dont nous venons de faire la connaissance ; nous serions ordinairement déçus à notre confusion, peut-être même à notre détriment. Encore une observation digne d’être notée : c’est précisément dans les petites choses, où il ne songe pas à soigner sa contenance, que l’homme dévoile son caractère ; c’est dans des actions insignifiantes, quelquefois dans de simples manières, que l’on peut facilement observer cet