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la partie honteuse[1] de sa propre nature. On comprendra également qu’en présence d’imbéciles et de fous il n’y a qu’une seule manière de montrer qu’on a de la raison : c’est de ne pas parler avec eux. Mais il est vrai qu’alors, en société, maint homme pourra se trouver dans la situation d’un danseur, entrant dans un bal où il n’y aurait que des perclus ; avec qui dansera-t-il ?

24° J’accorde toute ma considération, comme à un élu sur cent individus, à celui qui étant inoccupé, parce qu’il attend quelque chose, ne se met pas immédiatement à frapper ou à tapoter en mesure avec tout ce qui lui tombe sous la main, avec sa canne, son couteau, sa fourchette ou avec tout autre objet. Il est probable que cet homme-là pense à quelque chose. On reconnaît à la mine de la plupart des gens que chez eux la vue remplace entièrement le penser ; ils cherchent à s’assurer de leur existence en faisant du bruit, à moins qu’ils n’aient un cigare sous la main, ce qui leur rend le même service. C’est pour la même raison qu’ils sont constamment tout yeux, tout oreilles pour tout ce qui se passe autour d’eux.

25° La Rochefoucauld a très justement observé qu’il est difficile de beaucoup estimer un homme et de l’aimer beaucoup à la fois[2]. Nous aurions donc le choix entre briguer l’amour ou l’estime des gens. Leur amour est toujours intéressé, bien qu’à des titres divers. De plus, les

  1. En français dans le texte.
  2. Voici le texte de la maxime à laquelle Schopenhauer fait allusion : « Il est difficile d’aimer ceux que nous n’estimons point ; mais il ne l’est pas moins d’aimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous. » (La Roch., édit. de la Bibl. nationale, p. 71, 303.)