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tous les efforts extérieurs, tout ce que les hommes ou la fortune feront pour lui, tout cela sera impuissant à le transporter par delà la mesure du bonheur et du bien-être humain ordinaire, à demi animal : il devra se contenter des jouissances sensuelles, d’une vie intime et gaie dans sa famille, d’une société de bas aloi ou de passe-temps vulgaires. L’instruction même, quoiqu’elle ait une certaine action, ne saurait en somme élargir de beaucoup ce cercle, car les jouissances les plus élevées, les plus variées et les plus durables sont celles de l’esprit, quelque fausse que puisse être pendant la jeunesse notre opinion à cet égard ; et ces jouissances dépendent surtout de la force intellectuelle. Il est donc facile de voir clairement combien notre bonheur dépend de ce que nous sommes, de notre individualité, tandis qu’on ne tient compte le plus souvent que de ce que nous avons ou de ce que nous représentons. Mais le sort peut s’améliorer ; en outre, celui qui possède la richesse intérieure ne lui demandera pas grand’chose ; mais un benêt restera benêt, un lourdaud restera lourdaud, jusqu’à sa fin, fût-il en paradis et entouré de houris. Gœthe dit :

Volk und Knecht und Ueberwinder,
Sie gestehn, zu jeder Zeit,
Höchstes Glück der Erdenkinder
Sei nur die Persönlichkeit.

(Peuple et laquais et conquérant, — en tout temps reconnaissent — que le suprême bien des fils de la terre — est seulement la personnalité. (Gœthe, Divan Or. Occ., Zulecka).

Que le subjectif soit incomparablement plus essentiel à notre bonheur et à nos jouissances que l’objectif, cela