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toujours mériter à nos yeux un accueil de bienvenue ; nous devrions goûter, avec la pleine conscience de sa valeur, toute heure supportable et libre de contrariétés ou de douleurs actuelles, c’est-à-dire ne pas la troubler par des visages qu’attristent des espérances déçues dans le passé ou des appréhensions pour l’avenir. Quoi de plus insensé que de repousser une bonne heure présente ou de se la gâter méchamment par inquiétude de l’avenir ou par chagrin du passé ! Donnons son temps au souci, voire même au repentir ; ensuite, quant aux faits accomplis, il faut se dire :

Αλλα τα μεν προτετυχθαι εασομεν αχνυμενοι περ,
Θυμον ενι στηθεσσι φιλον θαμασαντες αναγχη.

(Donnons, bien qu’à regret, tout ce qui est passé à l’oubli ; il est nécessaire d’étouffer la colère dans notre sein.)


Quant à l’avenir :

Ητοι ταυτα θεων εν γουνασι κειται.

(Tout cela repose sur les genoux des dieux.)

En revanche, quant au présent, il faut penser comme Sénèque : « Singulas dies, singulas vitas puta » (Chaque jour séparément est une vie séparée), et se rendre ce seul temps réel aussi agréable que possible.

Les seuls maux futurs qui doivent avec raison nous alarmer sont ceux dont l’arrivée et le moment d’arrivée sont certains. Mais il y en a bien peu qui soient dans ce cas, car les maux sont ou simplement possibles, tout au plus vraisemblables, ou bien ils sont certains, mais