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cette règle pour les artistes et les poètes, mais il y en a beaucoup moins pour les philosophes. Les portraits d’hommes célèbres pour leurs œuvres, peints généralement à une époque où leur célébrité était déjà établie, confirment la règle précédente ; ils nous les représentent d’ordinaire vieux et tout blancs, les philosophes nommément. Au point de vue eudémonologique, toutefois, la chose est parfaitement justifiée. Avoir gloire et jeunesse à la fois, c’est trop pour un mortel. Notre existence est si pauvre que ses biens doivent être répartis avec plus de ménagement. La jeunesse a bien assez de richesse propre ; elle peut s’en contenter. C’est dans la vieillesse, quand jouissances et plaisirs sont morts, comme les arbres pendant l’hiver, que l’arbre de la gloire vient bourgeonner à propos, comme une verdure d’hiver ; on peut encore comparer la gloire ces poires tardives qui se développent pendant l’été, mais qu’on ne mange qu’en hiver. Il n’y a pas de plus belle consolation pour le vieillard que de voir toute la force de ses jeunes années s’incorporer dans des œuvres qui ne vieilliront pas comme sa jeunesse.

Examinons maintenant de plus près la route qui conduit à la gloire par les sciences, celles-ci étant la branche le plus à notre portée ; nous pourrons établir à leur égard la règle suivante. La supériorité intellectuelle dont témoigne la gloire scientifique se manifeste toujours par une combinaison neuve de certaines données. Ces dernières peuvent être d’espèces très diverses, mais la gloire attachée à leur combinaison sera d’autant plus grande et plus étendue qu’elles-mêmes seront plus généralement connues