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ce qu’on admire doit avoir plus de valeur que l’admiration, il s’ensuit que ce qui rend vraiment heureux ne réside pas dans la gloire, mais dans ce qui nous l’attire, dans le mérite même, ou, pour parler plus exactement, dans le caractère et les facultés qui fondent le mérite soit dans l’ordre moral soit dans l’ordre intellectuel. Car ce qu’un homme peut être de meilleur, c’est nécessairement pour lui-même qu’il doit l’être ; ce qui se réfléchit de son être dans la tête des autres, ce qu’il vaut dans leur opinion n’est qu’accessoire et d’un intérêt subordonné pour lui. Par conséquent, celui qui ne fait que mériter la gloire, quand même il ne l’obtient pas, possède amplement la chose principale et a de quoi se consoler de ce qui lui manque. Ce qui rend un homme digne d’envie, ce n’est pas d’être tenu pour grand par ce public si incapable de juger et souvent si aveugle, c’est d’être grand ; le suprême bonheur non plus n’est pas de voir son nom aller à la postérité, mais de produire des pensées qui méritent d’être recueillies et méditées dans tous les siècles. C’est là ce qui ne peut lui être enlevé, « των εφ’ ημιν » ; le reste est « των ουκ εφ’ ημιν ».

Quand, au contraire, l’admiration même est l’objet principal, c’est que le sujet n’en est pas digne. Tel est en effet le cas pour la fausse gloire, c’est-à-dire la gloire non méritée. Celui qui la possède doit s’en contenter pour tout aliment, puisqu’il n’a pas les qualités dont cette gloire ne doit être que le symptôme, le simple reflet. Mais il se dégoûtera souvent de cette gloire même : il arrive un moment où, en dépit de l’illusion sur son