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« Il n’est pas étonnant que je parle dans mon sens, et ceux qui se plaisent à eux-mêmes croient qu’ils sont remplis de mérites louables ; de même rien ne semble plus beau au chien que le chien, au bœuf que le bœuf, à l’âne que l’âne et au cochon que le cochon. »

Le bras le plus vigoureux lui-même, quand il lance un corps léger, ne peut lui communiquer assez de mouvement pour voler loin et frapper fort ; le corps retombera inerte et tout près, parce que l’objet, manquant de masse matérielle propre, ne peut admettre la force extérieure ; tel sera aussi le sort des grandes et belles pensées, des chefs-d’œuvre du génie, quand, pour les admettre, il ne se rencontre que de petits cerveaux, des têtes faibles ou de travers. C’est là ce que les sages de tous les temps ont sans cesse déploré tout d’une voix. Jésus, fils de Sirach, par exemple, dit : « Qui parle à un fou parle à un endormi. Quand il a fini de parler, l’autre demande : Qu’est-ce qu’il y a ? » — Dans Hamlet : « A knavish speech sleeps in a fools ear (Un discours fripon dort dans l’oreille d’un sot). — Gœthe, à son tour :

Das glücklichste Wort es wird verböhnt,
Wenn der Hörer ein Schiefohr ist.

(Le mot le plus heureux est déprécié quand l’auditeur a l’oreille de travers.

Et le même :

Du wirkest nicht, Alles bleibt so stumpf,
Sei guter Dinge !
Der Stein im Sumpf
Macht keine Ringe.

(Tu ne peux agir, tout demeure inerte : ne te désole pas ! Le caillou jeté dans un bourbier ne fait pas de ronds.)