Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tution lorsque, le cas échéant, il refuse de se battre.

Puisque j’y suis, je veux aller plus loin avec mon franc-parler. Examinée avec soin et sans prétention, cette grande différence, que l’on fait sonner si haut, entre tuer son adversaire dans un combat au grand jour et à armes égales ou par embûche, est fondée simplement sur ce que, comme nous l’avons dit, cet État dans l’État ne reconnaît d’autre droit que celui du plus fort et en a fait la base de son code après l’avoir élevé à la hauteur d’un jugement de Dieu. Ce qu’on appelle en effet un combat loyal ne prouve pas autre chose, si ce n’est qu’on est le plus fort ou le plus adroit. La justification que l’on cherche dans la publicité du duel présuppose donc que le droit du plus fort est réellement un droit. Mais, en réalité, la circonstance que mon adversaire sait mal se défendre me donne bien la possibilité, mais non le droit de le tuer ; ce droit, ou autrement dit ma justification morale, ne peut découler que des motifs que j’ai de lui arracher la vie. Admettons maintenant que ces motifs existent et soient suffisants ; alors il n’y a plus aucune raison de se préoccuper qui de nous deux manie le mieux le pistolet ou l’épée, alors il est indifférent que je le tue de telle ou telle façon, par devant ou par derrière. Car, moralement parlant, le droit du plus fort n’a pas plus de poids que le droit du plus rusé, et c’est ce dernier dont on fait usage quand on tue dans un guet-apens : ici, le droit du poing vaut exactement le droit de la tête. Remarquons, en outre, que dans le duel même on pratique les deux droits, car toute feinte, dans l’es-