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tribunal, et en commençant à comprendre pourquoi tout ce qui vit doit expier son existence, d’abord par la vie, puis par la mort. Le malum pœnæ apparaît d’accord avec le malum culpæ. De ce même point de vue se dissipe aussi notre indignation pour l’incapacité intellectuelle du plus grand nombre, qui nous dégoûte si fréquemment dans l’existence. Ainsi miseria humana, nequitia humana et stultitia humana se répondent parfaitement dans ce sansara[1] des bouddhistes, et sont de la même grandeur. Mais si nous examinons l’une à part et la mesurons spécialement, elle semble alors dépasser les deux autres sous ce rapport. Ce n’est pourtant là qu’une illusion et une simple conséquence de leur dimension colossale.

Chaque chose proclame ce sansara ; mais, plus que chaque chose, le monde humain, dans lequel, moralement, méchanceté et bassesse, intellectuellement, incapacité et bêtise, dominent en une mesure effrayante. Cependant il se manifeste en lui, quoique très sporadiquement, mais d’une façon constante, qui nous étonne toujours, des phénomènes d’équité, de bonté, de noblesse d’âme, comme aussi de grande intelligence, d’esprit qui pense, même de génie. Ceux-ci ne disparaissent jamais complètement. Ils luisent devant nous comme des points isolés qui brillent hors de la grande masse sombre. Nous devons les prendre comme une assurance qu’il y a dans ce sansara un bon prin-

  1. Le sansara, c’est le tourbillon vital, le mouvement toujours renouvelé qui, pendant les éternités, roule l’âme à travers des angoisses et des douleurs sans nombre, auxquelles elle aspire impatiemment à échapper. (Le trad.)