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et je ne puis dire si je me suis senti plus disposé à féliciter mon siècle ou à plaindre le sexe auquel j’appartiens. Prétendez-vous monter à notre niveau, ou nous laisser au-dessous du vôtre ? Soit, aspirez à nous effacer, vous aurez pour vous Dieu et les hommes à commencer par moi qui vous aime sans vous connaître, qui vous admire quoique je prodigue peu mon admiration. » Et Juste Lipse continue à égrener, sur ce ton-là, un long chapelet d’éloges[1].

En 1591, Marie de Gournay perdit sa mère. Ses affaires, peu brillantes depuis longtemps, se compliquèrent encore de nombreux partages. Marie fit son devoir de grande sœur. Elle s’occupa de placer ses frères de droite et de gauche. Son amour de l’indépendance l’empêcha d’accepter pour elle-même une haute hospitalité. Elle vécut à Paris au milieu de gens de lettres et de courtisans qu’elle apprit à détester parce qu’ils se moquaient d’elle. Elle trouvait une consolation à l’ironie des proches dans l’amitié des absents. La mort de Montaigne la frappa tout à coup et d’autant plus cruellement que, lorsqu’elle l’apprit, c’était déjà une vieille nouvelle. Le grand homme avait cessé de vivre le 13 septembre 1592 ; et le 25 avril 1593, Mademoiselle de Gournay, qui écrivait

  1. Justi Lipsii Epistolarum centuria secunda, (Lugduni Batavorum, 1590), epist. LX.
    Dans un petit cahier de pièces manuscrites conservé à la Bibliothèque nationale sous la cote Z. Payen 678, et qui a pour titre : Marie de Gournay, Pièces inédites, se trouve une copie des lettres latines de Lipse avec la traduction française faite pour le Dr Payen par M. Rostain de Lyon. C’est à ce petit volume que j’ai emprunté le fragment cité ci-dessus.