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Les passions en fin que l’instinct nous excite,
Non pas l’opinion de lumiere interdicte ;
Tiennent d’un poids égal telle place chez moy,
20.Que ma loy je leur donne et la leur je reçoy.
Je m’enferre par fois en la ronde fiance,
Supposant au prochain ma propre conscience :
Mais si je porte au doubte un ray de jugement,[1]
On ne me peut tromper, ains trahir seulement.
25.Par fois en conferant il aduient que j’embrasse[2]
La raison et ses droicts d’une humeur trop tenace :
Toute noble qu’elle est n’en soyons si jaloux.
Et qui ne veut heurler laisse heurler les loups.
Ce debat neantmoins s’escoule sans querelle,
30.Car soudain qu’elle esclost mon art luy brise l’aisle :
Et n’ay troublé ny bruit, hors ceux que le mondain
Livre au foible impuissant par malice ou dédain.
Je suis blessée aussi de ceste sotte honte,
Qui naissant de vertu pour vice nous surmonte.
35.J’advouë encore après reprochable à bon droict,
Qu’à servir le grand Dieu mon esprit est trop froid :[3]
Encores que mon cœur d’un sainct respect l’honore.
Hé quel autre mortel d’un juste vœu l’adore ?
Le fini l’infini ? l’ouvrage son Autheur ?
40.Un atome, un neant, l’unique Createur ?
Pour m’estimer un peu je ne merite blasme,
D’un appast si friand chaqu’un flatte son ame :
Je n’en crains les rieurs si je me prise à poinct :
Qui ne void ses vertus son vice il ne void point.
45.Le siecle trop aveugle et mon mal-heur estrange,[4]
Me force outre cela d’arborer ma loüange :
Pour voir si mieux instruict il voudroit secourir,
Celle que mieux cogneuë il ne lairroit perir.
Je ne m’accuse pas du deffaut de mesnage,

  1. V. 23 ** Mais si j’ouvre au soupçon l’œil de mon jugement,
  2. V. 25 ** Par fois en conférant il advient que j’espouse
    La raison et ses droicts d’une humeur trop jalouse :
    Toute noble qu’elle est cedons parfois aux foux,
  3. V. 36 ** Encores que mon cœur d’un zele franc l’adore ?
  4. V. 45-46-47-48 supprimés. ** – ***.