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PEINCTURE DE MŒURS[1][2]


A Monsieur le Président d’Espaignet, Conseiller d’ Estat.


Espaignet façonné sur le siecle plus sage,
Je veux peindre mes mœurs et t’offrir leur image :
Tu la peux à bon droict approuver ou casser,
Puis qu’en te practiquant vingt ans j’ay veu passer.
5.Nostre abord commencea lors que du grand Montaigne,[3]
J’allay voir le tombeau, la fille et la compaigne :[4]
Voyageant avec toy, qui menois de nouveau
Ta femme en leur païs ton antique berceau.
Voicy donc mes deffaux : je suis d’humeur bouillante,
10.J’oublie à peine extrème une injure preignante,[5]
Je suis impatiente et subjecte à courroux :
De ces vices pourtant je rompts les plus grands coups,
Je dis rompre au dehors où l’esclat est visible,
De les rompre au dedans cela m’est impossible :[6]
15.Tant l’ire, la piqueure et les assauts puissans
Des accidens fascheux me penetrent les sens.

  1. Ce portrait en vers a subi peu de changements dans les éditions de 1634 et 1641. Mademoiselle de Gournay l’a retouché par endroits sans rien changer au fond ni aux sentiments. Comme presque toujours elle alourdit et complique le premier jet en le corrigeant. J’ai préféré laisser à ce morceau d’une réelle valeur psychologique tout son caractère spontané et je m’en tiens scrupuleusement à la leçon de 1626.
  2. J’indique par deux astérisques l’édition des Advis de 1634 et par trois celle de 1641.
  3. V. 5. ** Nostre abord commença quand je fus à Montaigne :
    Voir un mort Demydieu, sa fille et sa compagne
  4. V. 6. *** Voir un mort au cercueil, sa fille et sa compagne,
  5. V. 10. ** J’oublie à peine extrème une injure poignante,
  6. V. 14. ** De les rompre au dedans ce roch m’est invincible :
    *** De les rompre en mon cœur ce roch est invincible :