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s’est élevée jusqu’au caractère, l’art s’est préparé le moyen de montrer toute la grandeur du sentiment, sans blesser la mesure. Car, là ou la beauté s’appuie sur des formes puissantes, comme sur des colonnes inébranlables, un changement léger et à peine sensible dans les rapports nous fait conclure que, pour le produire, une grande violence est nécessaire. La grâce sanctifie encore plus la douleur. Son essence consiste en ce qu’elle ne se connaît pas elle-même ; et comme elle n’a pas été acquise volontairement, elle ne peut pas non plus se perdre arbitrairement. Si une douleur insupportable, la démence, même, envoyée par les dieux vengeurs, enlève la conscience et la raison, elle se tient là comme un génie protecteur auprès du personnage souffrant ; elle l’empêche de faire rien d’inconvenant, rien qui choque la nature humaine ; et s’il succombe, au moins, il tombe comme une victime pure et sans tache. Ce n’est pas encore l’âme elle-même, mais elle la fait pressentir. Elle produit déjà, par une action naturelle, ce que la première produit par une force divine, puisqu’elle change en beauté la douleur, la défaillance, la mort même.

Cependant cette grâce conservée jusque dans les tortures les plus violentes serait morte, si elle n’était glorifiée par l’âme. Mais quelle expression doit lui convenir dans cette situation ? Elle se préserve de la douleur, elle apparaît au dehors non vaincue, mais victorieuse, en abandonnant ses liens avec l’existence