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DISCOURS

gouvernement, dans tous les grades, pussent être habiles sans que la nation le fût, ce qui est tout-à-fait improbable, quelle résistance n’éprouverait pas l’accomplissement de leurs meilleurs desseins ? Quels obstacles ne rencontreraient-ils pas dans les préjugés de ceux mêmes que favoriseraient le plus leurs opérations ?

Pour qu’une nation jouisse des avantages d’un bon système économique, il ne suffit pas que ses chefs soient capables d’adopter les meilleurs plans, il faut de plus que la nation soit en état de les recevoir[1].

On voit que dans toutes les suppositions le bien public exige que les particuliers connaissent les principes de l’économie politique aussi bien que les hommes d’état. Il leur convient de s’en instruire comme intéressés pour leur part au bien public ; cela leur convient encore s’ils veulent s’éclairer sur leurs intérêts privés. De justes notions sur la nature et la marche des valeurs leur donnent de grands avantages pour juger sainement les entreprises où ils sont intéressés, soit comme partie principale, soit comme actionnaires ; pour prévoir les besoins de ces entreprises et quels seront leurs produits ; pour imaginer les moyens de les faire prospérer, et y faire valoir leurs droits ; pour choisir les placemens les plus solides, prévoir l’issue des emprunts et des autres actes de l’administration ; pour amé-

  1. Je suppose ici qu’il y a un véritable amour du bien public dans les grands. Lorsque ce sentiment n’existe pas, lorsque le gouvernement est pervers et de mauvaise foi, il est bien plus utile encore que la nation connaisse la vraie nature des choses et entende ses véritables intérêts ; autrement elle souffre sans savoir à quelles causes elle doit attribuer ses souffrances ; ou bien, les attribuant à des causes qui ne sont pas les véritables, les vues du public sont divergentes, les efforts sont isolés, chacun en particulier manque de fermeté, parce qu’il ne se sent pas soutenu, et le despotisme en profite ; ou bien encore, si la nation, trop mal gouvernée, se fâche, elle écoute des conseils pernicieux, et échange un mauvais système d’administration contre un pire.