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AGRIPPINE.

Tibere qui voyoit les pleurs de l’Univers,
Conjurer mon Eſpoux de le tirer des fers,
Et qui ſçavoit aſſez qu’au milieu des batailles
Ses Amis luy ſeroient de vivantes murailles ;
Comme un acier tranchant, comme un bruſlant tiſon,
Du filet de ſes iours, il approcha Piſon :
Piſon part il s’avance, & dans chaque Province
Qu’il oyoit retentir des armes de mon Prince,
Par des coups non ſanglants, des meurtres de la voix,
Ce laſche terniſſoit l’éclat de ſes exploix.
Mais ſemblable au rocher, qui battu de l’orage,
De la mer qui le bat ſemble eſtre le naufrage,
Le nom de mon Heros par le choc affermi
Refléchiſſoit les coups deſſus son ennemy.
Il arrive, & mon Prince ignorant ſa malice,
D’un veritable amour payoit ſon artifice.
Quand nous viſmes tomber ce demy-Dieu Romain
Sous l’inviſible coup d’une inviſible main,
Une bruſlante fièvre allume ſes entrailles ;
Il contemple vivant ſes propres funerailles.
Ses arteres enflés d’un ſang noir & pourry,
Regorgent du poiſon dont ſon cœur eſt nourry :
À qui le conſidere, il ſemble que ſes veines
D’une liqueur de feu ſont les chaudes fontaines,
Des ſerpens enlacés qui rampent ſur ſon corps,
Ou des chemins voutez qui meinent chez les morts ;