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Dans la Revue celtique, vol. XXVIII (1907), p. 340, M. J. Loth communique un passage d’une lettre à lui adressée par F. de Saussure, et où celui-ci donne une explication du nom du Jura.

Il me paraît de plus en plus certain que, ni dans la seconde syllabe, ni dans la première (de Jura), il ne faut rien chercher d’authentique à aucun degré, et que le nom du Jura est purement une reconstitution savante du Jura de César.

On ne peut arriver malheureusement à aucune conclusion directe par l’examen du nom du Jura dans les patois, par la raison que ce nom n’y existe pas. Les paysans ne connaissent qu’un mot emprunté au français (lo Džurá), qui serait lo Dzürá s’il appartenait au patois.

Je prouve par d’assez nombreux mots que la première syllabe de Jura était brève (ainsi Joran, vent descendant du Jura) ; en outre que la seconde syllabe ne doit pas être jugée d’après le Ίουρασσός des Grecs ; en résumé, qu’il devait exister une dénomination variant entre *Jŭr-ēs et Jŭr-a (Pline : Jures ; César : Jura), représentant le pluriel d’un mot celtique Jur-, que César a traité comme un nom neutre.

L’intérêt de cette affaire ne commence qu’après que l’on a fait cette double constatation ultérieure :

a) Que tous nos dialectes lémanniques connaissent le mot une joux = une grande forêt de sapins, mot qui était autrefois une jour, ainsi que l’attestent mille documents.

b) Que l’on a dit, par excellence, la Jour (la Joux) pour le Jura jusqu’au XVIIIe siècle, ainsi que je puis le montrer particulièrement par des plans où les points cardinaux sont indiqués :

BISE
LA JOUX LAC
VENT
(Joux à l’ouest est le Jura)

Ce mot de Joux, archaïquement la jour, correspond tout droit à un latin *jurĭs et a même l’avantage, étant féminin, de ne pas admettre autre chose que Jŭris, donc exactement la forme plinienne Jures, Juribus, qui est le nom du Jura.