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ΛΙΓΥΣ.
(Mémoires de la Société de Linguistique, VII, p. 77. — 1892.)

Λιγύς «sonore» ne se dit jamais que d’un son très clair et très pur, et à cette signification s’ajoute incontestablement (ou se substitue même complètement) dans certains cas l’idée de «mélodieux, doux, exquis à entendre» (Μοῦσα λὶγεια ω 62, λιγὺς Πυλίον ἀγορητής A 248, outre les exemples moins probants φόπμιγγα λίγειαν, Σειρῆνες λιγυρῇ θέλγουσιν ἀοιδῇ, etc.). Cette nuance du sens autorise à comparer le vieil indien valgú- «agréable, joli» qui s’emploie particulièrement en parlant de ce qui charme l’oreille. Déjà dans le Véda c’est en compagnie du verbe vadati «parler» qu’apparaît le mot valgú et une expression très commune en sanscrit classique est valgu-vādin- «au suave discours». Les oiseaux sont dits valgu-vaćasas «au mélodieux ramage» Rāmāy. Schleg. II, 95, 11, comme on a dans Théocrite λιγύφωνος ἀηδών dans Homère[1] Sans méconnaître la valeur de l’objection qu’on peut tirer de l’apparente affinité de λιγύς avec λίγξε βιός «la corde de l’arc résonna» (Δ 125), έπιλίζοντας ὀιστούς «les flèches sifflantes»[2] (Nicandre), nous croyons donc pouvoir ramener λιγύς à *ϝļγύς, ne différant de l’indien valgú- (= *wolg2ú-) que par l’état vocalique de la racine. La forme λιγύς repose sur cette règle que ļ ṛ devant gutturale vélaire se développent régulièrement en ρυ λυ au lieu de ρα λα (voir plus haut φρυκτός): mais *λυγύς, à cause de l’υ de la seconde syllabe, subit secondairement dissimilation en λιγύς (par analogie: λίγεια, λίγα, etc., comme inversement γλυκύς sur γλυκεῖα, εὐρύς sur εὐρεῖα, εὐθύς sur εὐθεῖα, concurremment à ιθύς).

P. S. — Nous n’attachons pas d’importance à cette interprétation du développement de *ϝļγύς car il se produit en grec entre une gutturale vélaire et la voyelle précédente tant de phénomènes encore inexplorés qu’il serait téméraire de vouloir retracer exactement le chemin suivi par une forme comme λιγύς. Voici un très fugitif aperçu des problèmes qui se présentent :

  1. Ici pourrait aussi se placer vlûga, le nom slavon du loriot, cet oiseau qui, ordinairement invisible sous la feuillée, ne trahit sa présence que par un des plus vigoureux sifflets qu’on entende sous nos bois. L’étymologie vaudrait, en tout cas, celle qui rattache ce nom à la famille de vlaga «humidité» (parce que le chant du loriot est censé annoncer la pluie).
  2. Qui toutefois peuvent de leur côté se rapprocher de λίγδην «en frôlant», ce qui nous transporte bien loin de Μοῦσα λὶγεια