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SUR UN POINT DE LA PHONÉTIQUE DES CONSONNES EN INDO-EUROPÉEN.

après voyelle brève, il se porte sur la deuxième syllabe (prend la forme explosive). L’indo-européen coupait : păt | ros, mais mā | tros. Ce fait résulte d’une série d’observations trop longues à rapporter ici, et qui montrent la coupe syllabique primitive obéissant à une loi d’équilibre très curieuse. Tant que la première de deux syllabes n’est pas longue, elle attire à elle tout élément disponible, comme si sa capacité normale n’était pas satisfaite (de là păt | ros et non pă | tros). Mais aussitôt que la première syllabe est pourvue, le courant se déclare en sens inverse et rejette sur la seconde le tropplein de la première (mā | tros et non māt | ros).

Si maintenant on passe au type à consonne double et qu’on envisage une formation māt + ros, la destinée de māttro sera de se résoudre premièrement en māt | ro conformément à tout ce qui a été établi plus haut. Mais ce māt | ro lui-même n’est pas viable. La loi indo-européenne qui vient d’être indiquée exige sa transformation immédiate en mā | tro. Encore ici par conséquent, quoique dans des circonstances différentes, le type à consonne simple est rejoint par le type à consonne double qui s’y conforme entièrement.

Ceci permet d’expliquer le vieux haut-all. bīhal « hache ». On sait que mahal « forum, contio » répond au got. maþl, et M. Osthoff a montré (Beitr. de PB. 8, 146) que hl doit être considéré comme le produit régulier, en allemand, de þ | l, lorsqu’il est partagé de la sorte entre deux syllabes[1]. Le vieux haut-ail. īîhal peut donc représenter un goth. *beiþl, et le fait devient certain par le norrois bílda (ld = þl). Nous sommes ainsi en possession d’un germ. *bīþla- « hache » qu’il est trop naturel d’interpréter par « l’instrument à fendre », en le ramenant à bheid-tro-m. Le germ. *bīþla- (et non bīstla-) « hache » contient la même preuve que *seþla- (et non sestla-) « siège ».

Dans tout ce qui précède, il a été fait abstraction de l’hypothèse de M. Brugmann, d’après laquelle l’assibilation des doubles dentales, commune à tous les idiomes de la famille moins un, remonterait à la période indo-européenne, de manière qu’un type mentionné plus haut sous la forme *setto-serait en réalité *setsto-.

Cette hypothèse, en la tenant pour vraie, met-elle en danger le point que nous avons essayé de démontrer ?

  1. Cette division ne répond pas à la coupe indo-européenne après voyelle longue, mais il s’agit de faits de la période germanique et même allemande.