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SUR UN POINT DE LA PHONÉTIQUE DES CONSONNES EN INDO-EUROPÉEN. 427

c. D’après Pānini (8, 4, 47 ; cf. avec critique 48 et 50—52) : dans les deux cas çaratrayam ou dans les deux cas çarattrayam. Emploi à volonté de la lettre double ou simple devant r-w.

Cette dernière doctrine, pour être fidèlement rapportée, doit plutôt se formuler comme suit : toute occlusive est supposée simple devant r-w, mais on peut toujours la redoubler. Ainsi le système a et le système b nous donnent raison chacun à sa manière ; le troisième système à lui seul nous donne raison deux fois. Car, à côté de l’obligation, en règle générale, d’écrire les deux mots de la même façon, il laisse la faculté non moins significative d’écrire le même mot des deux façons. Comme les précédents, il refuse toute sanction à la distinction étymologique, mais il proclame en outre expressément l’indifférence phonétique de tr et ttr, qui est la contre-partie prévue et la cause même du premier fait[1]. Devant cet ensemble de témoignages, on peut affirmer que, lorsque la différence étymologique est respectée dans l’écriture, c’est que le scribe donne simplement une entorse au principe phonétique[2].

Ce qui se passe sous nos yeux dans l’exemple du sanskrit a dû se passer en indo-européen. Il n’y a pas lieu d’admettre que la forme composée de pet + trom pût offrir un autre groupe que le génitif du mot père, patros, où le t était étymologiquement simple. La prononciation exacte est indifférente. Etait-ce dans les deux cas ttr (pattros, pettron), dans les deux cas t | r (pat | ros, pet | rom) ou dans les deux cas un groupe flottant (pattros, pat | ros; pettrom, pet | rom)? Le seul point important est d’affirmer le parallélisme des deux formes, d’où il suit que, si la première aboutit en grec à πατρός, on ne saurait attendre de la seconde un autre produit

  1. Ainsi le redoublement sporadique dans une forme comme suttvà est le meilleur commentaire de la simplilication généralement faite dans datvā. Un mot qui reçoit souvent le redoublement facultatif est abbrram = abhram « nuage ». Je sais bien que l’interprétation indigène décompose ce mot en ap- « eau » + bhar « porter », et qu’on en pourrait précisément conclure que le redoublement n’est pas aussi arbitraire que nous le disons. Mais je demande comment cette fausse étymologie aurait pu naître et s’imposer, si le son n’y donnait prétexte, c’est-à- dire si abhram n’avait pas frappé l’oreille comme quelque chose de parlaitement équivalent à ab-bhram. Tout ce qu’on peut concéder, c’est donc que l’étymologie, vraie ou fausse, guide souvent le choix entre deux orthographes qui, en elles-mêmes, sont indifférentes.
  2. Dans le texte du Rig-Véda, nos éditions différencient taraddvēṣas-, yāvayaddvēṣas-et advēṣas. J’ignore si c’est sur l’autorité d’une tradition quelconque.