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nasales sonantes des noms de nombre.

et le grec n’a peut-être qu’un seul exemple de ce genre, l’homérique προσώπατα qui semble être dérivé de πρόσωπο-ν. On peut conjecturer néanmoins que les formes slaves en question sont bien la dernière réminiscence des thèmes comme ἧπαρ, -ατος et yákr̥t, -nás. D’après ce qui a été dit plus haut, le nom.-acc. en ne pourrait qu’être récent ; nous trouvons semblablement en latin le nom.-acc. : ungu-en, en grec : ἄλειφα à côté d’ἄλειφαρ.

Voilà quelques-uns des rapprochements qui se présentent à l’esprit dans la question de l’origine du τ dans les suffixes -ατ et -ματ. Nous nous abstenons de tout jugement ; mais personne ne doutera, en ce qui concerne l’α, qu’il ne soit le représentant d’une nasale sonante.

A côté de skr. nā́ma se placent, sous le rapport du traitement de la nasale sonante finale, les noms de nombre suivants :

saptá = lat. septem, got. sibun, gr. ἑπτά
náva = lat. novem, got. niun, gr. ἐννέα
dáça = lat. decem, got. taihun, gr. δέκα

C’est là la forme du nomin.-accusatif, la seule qui donne matière à comparaison. A la question : « quels sont les thèmes de ces noms de nombre ? » la grammaire hindoue répond : saptan-, navan-, daçan-, et à son point de vue elle a raison, car un instr. pl. comme saptabhis ne se distingue en rien de la forme correspondante du thème nāman-, qui est nāmabhis. Cependant, si nous consultons les langues congénères, deux d’entre elles nous montrent la nasale labiale, le latin et le lituanien (dészimtis[1]), et ces deux langues sont les seules qui puissent éclairer la question, vu que le gotique convertit l’m final en n.

Seconde preuve en faveur de la nasale labiale. Le sanskrit termine ses noms de nombre ordinaux, de deux à dix, par -tīya, -tha ou -ma.[2] En omettant pour un instant l’adjectif ordinal qui correspond à páńća, et en mettant ensemble les formes dont le suffixe commence par une dentale, on a une première série composée de :
dvi-tī́ya ; tr̥-tī́ya, ćatur-thá, šaš-ṭhá,

et une seconde où se trouvent :

saptamá, ašṭamá, navamá, daçamá.
Dans les langues européennes la première formation est la plus répandue, et en gotique elle a complètement évincé la seconde. Il est encore visible néanmoins que les deux séries du sanskrit remontent telles quelles, à part les changements phonétiques, à la langue indo-européenne. En effet aucun idiome de la famille ne montre la terminaison -ma là où le sanskrit a -tha ou -tīya,
  1. septynì, devynì sont de formation secondaire. Leskien, Declin. im Slavisch-Lit., p. XXVI.
  2. Nous ne tenons pas compte de prathamá et turī́ya, étrangers à la question.