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liquides sonantes dans les langues d’europe.

l’a qui précédait la liquide se trouvait expulsé ; mais cela n’empêche pas, comme nous le verrons, de les placer exactement sur le même rang que i et u.

Il est certain tout d’abord qu’au indien[1] correspond presque constamment en zend un phonème particulier, très-voisin sans doute du - voyelle, savoir ĕrĕ : aussi le de la période indo-iranienne ne trouvera plus aujourd’hui de sceptiques bien décidés. – L’ancien perse, il est vrai, n’offre rien de semblable, si ce n’est peut-être akunavam = skr. ákr̥ṇavam. En regard du skr. kr̥tá, du zd. kĕrĕta, il montre karta, et il n’y a point là d’inexactitude de l’écriture, car la transcription grecque nous donne αρ, par exemple dans ἄρξιϕος = skr. r̥ģipyá, zd. ĕrĕzifya « faucon »[2]. Les noms qui contiennent Ἀρτα- sont moins probants à cause du zend asha qui, lui aussi, remonte à *arta en dépit du skr. r̥tá.

En présence de l’accord du zend et du sanskrit, on est forcé d’admettre que le perse a confondu des phonèmes différents à l’origine, et c’est là un des exemples les plus patents de la tendance générale des langues ariennes à la monotonie du vocalisme ; l’iranien en cela rend des points au sanskrit, mais dans le sein de l’iranien même l’ancien perse est allé plus loin que le zend.

En regard du des langues ariennes, les langues d’Europe montrent toutes un r-consonne (ou l-consonne) accompagné d’une voyelle distinctement articulée. Mais cette voyelle est, chez plusieurs d’entre elles, de telle nature, qu’on ne saurait ramener simplement le groupe phonique où elle se trouve à a + r, et que tout

  1. Le signe diacritique que nous adoptons pour marquer les liquides et nasales sonantes (r̥ n̥ m̥) a un emploi différent dans les Grundzüge der Lautphysiologie de Sievers (p. 89). Aussi avons-nous cherché à l’éviter, mais inutilement : qu’on considère que la désignation ordinaire devenait impossible, puisqu’elle eût entraîné la confusion de la nasale sonante () avec la nasale cérébrale sanskrite ; que d’autre part la désignation r (Sievers, Brugmann) ne saurait être introduite dans la transcription du sanskrit, qu’enfin le caractère a été employé déjà par M. Ascoli précisément avec la valeur du r-voyelle, et l’on reconnaîtra que si nous innovons, c’est du moins dans la plus petite mesure possible.
  2. La forme perse a dû être arzifiya. Disons tout de suite que le mot existe aussi en grec avec la substitution régulière : d’abord dans l’idiome macédonien, où il a la forme ἀργίπους (Hes.) pour laquelle M. Fick (K. Z. XXII 200) a tort de chercher une autre étymologie. A côté d’ἀργίπους l’Étymol. Mag. nous a conservé αἰγίποψ· ἀετὸς ὑπὸ Μακεδόνων qui est évidemment le même mot, et ceci nous amène avec sûreté au grec αἰγυπιός. La disparition du ρ a son analogie dans deux autres cas de -voyelle : μαπέειν de μάρπτω et αἴγλη = skr. r̥ģrá. Pour l’ι d’αἰγυπιός et d’αἴγλη v. ces mots au registre.