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LES FEMMES FORTES.

CLAIRE.

Un étranger… un exilé… un prince monténégrin, à ce qu’il dit, s’est fait présenter ici par madame Toupart. Ses façons mélancoliques, d’assez mauvais aloi, inspiraient à Jenny une compassion dangereuse. J’ai dû mettre un terme à des visites trop fréquentes… On a pleuré… Le chevalier a pris l’habitude de passer deux fois par jour sous les fenêtres de la tourelle où la jeune châtelaine est prisonnière, et… je ne suis pas fâchée que vous arriviez…

QUENTIN.

C’est tout ?

CLAIRE, Elle va au bureau.

C’est tout !… Ah ! pardon ! Voici mes livres, vous vérifierez.

QUENTIN,
QUENTIN.
prenant le livre qu’elle lui présente.

Qu’est-ce que c’est ?

CLAIRE.

Le compte de l’argent que vous m’aviez confié.

QUENTIN.

Il en reste ! Brave fille, va ! Tiens, embrasse-moi ; tu es une brave fille ! Et maintenant que me voilà quasi millionnaire, je veux que tu sois chez moi comme chez toi, comme chez ton père !

CLAIRE.

Mon bon parrain !

QUENTIN.

Parce que tu es une bonne fille ! une femme d’ordre, une femme économe, une femme de ménage, que je ne marierai jamais, entends-tu ? car tu ferais le bonheur de ton mari… mais le malheur, le malheur de tes enfants !

CLAIRE.

Moi ?…

QUENTIN.

Ah ! Je te confie le gouvernement de mes filles, et tu les empêches de lire, et tu leur défends le spectacle, la promenade, les bals, tout ce qui fait le charme de la vie, et tu ne les laisses sortir que sous l’escorte d’une duègne. Mais tu es donc la routine incarnée, le préjugé, la réaction, la tyrannie, le moyen âge, l’obscurantisme !