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livres et s’y confond le plus harmonieusement du monde. On put croire que l’heureux mélange de ces rares qualités trahissait mieux que tout le reste l’inaptitude fondamentale d’un homme de trop d’esprit à se décider en vertu de principes fermes et surtout en vertu d’inébranlables doctrines. Ah, que nous aimons juger des choses et des hommes par les apparences.

Et longtemps, Jules Lemaître consentit à suivre les manifestations assez méprisables de la vie médiocre théâtrale. Il s’abstint alors, avec un grand esprit de suite, de recommander l’emploi de procédés ou l’obéissance à des règles catégoriques. Et si cette abstention fut tenue pour l’indice d’un esprit incertain,’est-il pas plus équitable d’affirmer qu’elle révèle plutôt un doctrinaire soucieux avant tout de n’exprimer des doctrines qu’à bon escient et sur les choses qui en valent la peine… Il est incontestable aussi qu’il évita d’indiquer aux écrivains contemporains des principes dont ceux-ci sont de plus en plus enclins à répudier la tutelle. Mais, sans doute, cela ne prouvait pas que Jules Lemaître fût dédaigneux des principes, mais seulement qu’il était sensé et prudent en renonçant à formuler des lois, fort inutiles après toutes celles qui surgirent d’elles-mêmes au cours varié des siècles littéraires, et d’autant plus illusoires aujourd’hui où les indépendances tumultueuses des écrivains sont plus rebelles à s’y subordonner. Toutes ces abstentions constituaient déjà la doctrine — extrêmement précise — d’un homme connaissant admirablement la vie et les homme et particulièrement soucieux de ne point écrire vainement.

Littérature Française d’aujourd’hui (Perrin, 1901).