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Lycée du Havre. Ses élèves, dont je fus, avaient bien juste cinq ou six ans de moins que lui, et ils l’adoraient. C’est que, tout de suite, avec cette finesse qu’ont les enfants pour peser les hommes, nous avions senti que celui-là était un cerveau d’élite. De ma vie, je n’oublierai la première classe. On rentrait de vacances ; chacun de nous avait lu, au gré de sa fantaisie, les livres vers lesquels le poussait son goût. Lemaître voulant juger du degré de nos curiosités nous demanda dès l’abord : « Quels sont les auteurs que vous préférez ? » Pour faire sa cour, le fort en thème de la classe dit : « Je préfère La Fontaine à tous les écrivains. » — Sans doute, répondit Lemaitre d’un ton détaché ; mais quelle singulière idée d’écrire des fables ! » La classe resta bouche bée. On flaira que le nouveau maître n’avait pas les préjugés des gens en toge que nous avions connus jusque-là, qu’il nous dispenserait des admirations convenues et qu’on pourrait laisser tout cela au vestiaire. » Cette anecdote des débuts de Jules Lemaître dans la carrière du professorat caractérise déjà l’homme qui occupera, à quelque temps de là, un fauteuil de critique dans la presse parisienne et s’y assoiera si commodément, parmi ses devanciers, sans nul souci de leurs méthodes étroites et surannées.

Il était encore au Havre lorsqu’il fit ses débuts de publiciste et d’emblée il attira et fixa sur lui l’attention du public par une magistrale étude sur Flaubert parue dans la Revue politique et littéraire (octobre 1879).