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la force de lui dire une parole, il la pressa contre son cœur en fondant en larmes. Elle ne chercha point à le consoler, et, comme ils ne pouvaient rien se dire qui adoucît leur peine mutuelle, ils se contentèrent de pleurer ensemble en se jurant une éternelle amitié. Ces adieux soulagèrent un peu le cœur de Louise ; mais, en la voyant partir, Bénédict sentit s’évanouir la dernière espérance qui lui restât d’approcher de Valentine.

Alors il tomba dans le désespoir. De ces trois femmes qui naguère l’accablaient à l’envi de prévenances et d’affection, il ne lui en restait pas une ; il était seul désormais sur la terre. Ses rêves si riants et si flatteurs étaient devenus sombres et poignants. Qu’allait-il devenir ?

Il ne voulait plus rien devoir à la générosité de ses parents ; il sentait bien qu’après l’affront fait à leur fille il ne devait plus rester à leur charge. N’ayant pas assez d’argent pour aller habiter Paris, et pas assez de courage, dans un moment aussi critique, pour s’y créer une existence à force de travail, il ne lui restait d’autre parti à prendre que d’aller habiter sa cabane et son champ, en attendant qu’il eût repris la volonté d’aviser à quelque chose de mieux.

Il fit donc arranger, aussi proprement que le lui permirent ses moyens, l’intérieur de sa chaumière ; ce fut l’affaire de quelques jours. Il loua une vieille femme pour faire son ménage, et il s’installa chez lui après avoir pris congé de ses parents avec cordialité. La bonne femme Lhéry sentit s’évanouir tout le ressentiment qu’elle avait conçu contre lui et pleura en l’embrassant. Le brave Lhéry se fâcha et voulut de force le retenir à la ferme ; Athénaïs alla s’enfermer dans sa chambre, où la violence de son émotion lui causa une nouvelle attaque de nerfs. Car Athénaïs était sensible et impétueuse ; elle ne s’était attachée à Blutty que par dépit et vanité ; au fond de son cœur elle chérissait encore Bénédict, et lui eût accordé son pardon s’il eût fait un pas vers elle.

Bénédict ne put s’arracher de la ferme qu’en donnant sa parole d’y revenir après le mariage d’Athénaïs. Quand il se trouva, le soir, seul dans sa maisonnette silencieuse, ayant pour tout compagnon Perdreau assoupi entre ses jambes, pour toute harmonie le bruit de la bouilloire qui contenait son souper, et qui grinçait sur un ton aigre et plaintif devant les fagots de l’âtre, un sentiment de tristesse et de découragement s’empara de lui. À vingt-deux ans, après avoir connu les arts, les sciences, l’espérance et l’amour, c’est une triste fin que l’isolement et la pauvreté !

Ce n’est pas que Bénédict fût très-sensible aux avantages de la richesse, il était dans l’âge où l’on s’en passe le mieux ; mais on ne saurait nier que l’aspect des objets extérieurs n’ait une influence immédiate sur nos pensées, et ne détermine le plus souvent la teinte de notre humeur. Or, la ferme avec son désordre et ses contrastes était un lieu de délices, en comparaison de l’ermitage de Bénédict. Les murs bruts, le lit de serge en forme de corbillard, quelques vases de cuisine en cuivre et en terre, disposés sur des rayons, le pavé en dalles calcaires inégales et ébréchées de tous côtés, les meubles grossiers, le jour rare et gris qui venait de quatre carreaux irisés par le soleil et la pluie, ce n’était pas là de quoi faire éclore des rêves brillants. Bénédict tomba dans une triste méditation. Le paysage qu’il découvrait par sa porte entr’ouverte, quoique pittoresque et vigoureusement dessiné, n’était pas non plus de nature à donner une physionomie très riante à ses idées. Une ravine sombre et semée de genêts épineux le séparait du chemin raide et tortueux qui se déroulait comme un serpent sur la colline opposée, et, s’enfonçant dans les houx et les buis au feuillage noirâtre, semblait, par sa pente rapide, tomber brusquement des nues.

Cependant, les souvenirs de Bénédict venant à se reporter sur ses jeunes années qui s’étaient écoulées en ce lieu, il trouva insensiblement un charme mélancolique à sa retraite. C’était sous ce toit obscur et décrépit qu’il avait vu le jour ; auprès de ce foyer, sa mère l’avait bercé d’un chant rustique ou du