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brisé ? Qu’importe si le résultat est le même ?

» Je suis plutôt un homme dévoré. Les bêtes sauvages m’ont mangé à demi, ce qui reste de mon cœur ne me sert plus qu’à sentir ce qui m’en manque.

» À quoi bon ces plaintes ? où vont ces vaines doléances ? qui s’y intéressera jamais ? Ma mère doit les ignorer ; quel autre cœur que le sien en ressentirait la blessure ?

» Marianne… Eh bien, quoi, Marianne ? Je pense à elle parce qu’elle est la seule personne qui, avec ma mère, constitue ma vie d’intimité ; mais il y a une trop grande distance entre nous pour que je l’associe à mes rêveries : différence d’âge, d’expérience, de réflexion.

» Elle a pourtant l’air de réfléchir, Marianne ! mais elle parle si peu ! Ses manières et sa physionomie n’ont jamais indiqué aucun besoin d’épanchement.

» Je la crois très-heureuse, elle ! Son caractère est d’une égalité surprenante. Sa santé, d’apparence si frêle et dont je me suis inquiété longtemps, est une santé à toute épreuve. Le froid, le chaud, la pluie, la neige, les longues courses, les veilles, rien ne l’altère. Elle a passé je ne sais combien de nuits au chevet des malades, à celui de mon père surtout. Ma mère était brisée de fatigue, Marianne était debout et impassible. Elle n’a pas beaucoup de sensibilité,