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vous vantez de le connaître, vous êtes sans cesse à la veille d’une déception, que vous tâchez d’expliquer après coup, mais que vous n’expliquez réellement pas ; car on vous voit alors faire rudement la critique de ce que vous aviez jugé bon, ou porter aux nues ce dont vous aviez douté.

Quel sera donc l’élément de certitude du succès ? Prenez-en votre parti, il n’y en a pas. Une représentation théâtrale sera toujours un coup de dés, où la main tremble à celui qui les a pipés, mais où celui à qui sa conscience d’artiste ne reproche rien peut porter beaucoup de calme, et prévoir la mauvaise chance avec beaucoup de philosophie. Il y a là pourtant, nous le savons, danger de vie ou de mort pour le directeur aux abois, pour l’acteur contesté, pour l’auteur qui a rêvé la gloire et la fortune avec passion. Tous trois, sans doute, doivent trembler si leur caractère n’est pas à la hauteur du péril où leur ambition les a jetés. Mais le public se soucie fort peu de tous vos rêves ou de toutes vos craintes. Il se dit que, si vous n’êtes pas brave, vous avez été fou de l’affronter. N’attendez pas mieux de ce maître caressé et flatté d’avance par vos concessions. Vous avez peut-être épié en imagination son sourire, convoité sa bienveillance, frémi devant la pensée de son sarcasme. Inutile, inutile ! Il est là, et il ne fera que ce qui lui plaît.

Dès lors, à quoi bon sacrifier sa conscience à une éventualité insaisissable ? En ceci comme en tout, la vie est un jeu de hasard où l’unique certitude est dans le sentiment que l’on porte en soi-même. Déloyal, vous pouvez être châtié. Probe, vous pouvez être écrasé : voilà l’inconnu de votre avenir ; mais vous serez, à votre choix, probe ou déloyal. Cela en dit assez pour que vous puissiez voir très-clairement l’emploi et le but de votre vie.

Il y a cependant des chances, direz-vous : l’esprit et le talent chercheront toujours à se les rendre favorables. D’accord, et la conscience aussi pourra le chercher ; mais, si vous séparez l’habileté de la conscience, vous n’avez plus que la moitié de vos moyens, et vous diminuez d’autant vos chances