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Comment eût-il prévu l’avenir, lui qui ne se connaissait pas, et qui n’avait jamais été surpris par les passions ?

Alors il se fit une étrange et soudaine révolution dans ce jeune homme ; il continua de nier l’amour pour son propre compte, mais il se prit à croire ce sentiment possible chez les autres ; il se dit qu’une femme comme Jenny était digne de l’inspirer, et il s’estima beaucoup moins qu’il ne l’avait fait jusqu’alors ; car il se convainquit par la comparaison qu’il était beaucoup au-dessous d’elle.

Peut-être que la conscience de la nullité est le premier pas vers un noble essor. Les sots ne l’ont jamais.

L’ignorance peut se passer longtemps de modestie ; mais, si elle vient un jour à rougir d’elle-même, elle n’est déjà plus l’ignorance.

Melchior n’eut pas plus tôt placé Jenny à son véritable point de vue par rapport à lui, qu’il devint moins indigne d’elle ; mais les émotions toutes nouvelles qui s’éveillèrent en lui dès lors troublèrent sa conscience pour des motifs dont elle seule avait le secret.

Il résolut d’éviter la présence de sa cousine ; il se croyait très-fort parce qu’il n’avait jamais fait l’expérience de sa force en de semblables combats ; mais c’était une entreprise plus difficile qu’il ne se l’était imaginé. À son insu, le mal avait envahi bien du terrain.

Un jour, il fit un effort héroïque : ce fut de se vanter encore à Jenny de son mépris pour ce qu’elle appelait l’amour ; mais, au moment où il énonçait ce sentiment, un sentiment contraire se révélait si hautement à son âme, qu’il s’éloigna brusquement, et, se livrant à un ordre de réflexions qu’il n’avait jamais faites, il fut épouvanté de sentir en lui deux volontés opposées, deux