Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/253

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il fallait commencer par détruire un amour dans son cœur avant de pouvoir y établir le sien. Timothée sentit que le plus sûr moyen qu’un homme puisse employer pour se faire haïr, c’est de combattre un rival préféré et de s’offrir à la place. Il résolut, au contraire, de favoriser en apparence le sentiment de Mattea, tout en le détruisant par le fait sans qu’elle s’en aperçût. Pour cela, il n’était pas besoin de nier les vertus d’Abul, Timothée ne l’eût pas voulu ; mais il pouvait faire ressortir l’impuissance de ce cœur musulman pour un amour de femme, sans porter la moindre atteinte de regret à l’amateur éclairé qui trouvait la matrone Loredana plus belle que sa fille.

La princesse Veneranda fut dérangée au milieu de son précieux sommeil par l’arrivée de Mattea à une heure indue. Il n’est guère d’heures indues à Venise ; mais en tout pays il en est pour une femme qui subordonne toutes ses habitudes à l’importante affaire de se maintenir le teint frais. Comme, pour ajouter au bienfait de ses longues nuits de repos, elle se servait d’un enduit cosmétique dont elle avait acheté la recette à prix d’or à un sorcier arabe, elle fut assez troublée de cet événement, et s’essuya à la hâte pour ne point faire soupçonner qu’elle eût besoin de recourir à l’art. Quand elle eut écouté la plainte de Mattea, elle eut bien envie de la gronder, car elle ne comprenait rien aux idées exaltées ; mais elle n’osa le faire, dans la crainte d’agir comme une vieille et de paraître telle à sa filleule et à elle-même. Grâce à cette crainte, Mattea eut la consolation de lui entendre dire :

— Je te plains, ma chère amie ; je sais ce que c’est que la vivacité des jeunes têtes ; je suis encore bien peu sage moi-même, et, entre femmes, on se doit de l’indulgence. Puisque tu viens à moi, je me conduirai avec toi