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parce que je le déteste, et parce que j’ai disposé de mon cœur.

» Alors Loredana se mit dans une grande colère et lui fit mille menaces. Mais je la calmai en disant qu’il fallait savoir en faveur de qui notre fille avait, comme elle le disait, disposé de son cœur, et je la pressai de nous le dire. J’employai la douceur pour la faire parler, mais ce fut inutile.

» — C’est mon secret, disait-elle ; je sais que je ne puis jamais épouser celui que j’aime, et j’y suis résignée ; mais je l’aimerai en silence, et je n’appartiendrai jamais à un autre.

» Là-dessus, ma femme s’emporta de plus en plus, lui reprocha de s’être énamourée de ce petit aventurier de Timothée, le laquais d’un Turc, et elle lui dit tant de sottises, que la colère fit plus que l’amitié, et que la malheureuse enfant s’écria en se levant et en parlant d’une voix ferme :

» — Toutes vos menaces sont inutiles ; j’aimerai celui que mon cœur a choisi, et, puisque vous voulez savoir son nom, sachez-le : c’est Abul.

» Là-dessus, elle cacha son visage enflammé dans ses deux mains, et fondit en larmes. Ma femme s’élança vers elle et lui donna un soufflet.

— Elle eut tort, s’écria la princesse.

— Sans doute. Excellence, elle eut tort. Aussi, quand je fus revenu de l’espèce de stupeur où cette déclaration m’avait jeté, j’allai prendre ma fille par la main, et, pour la soustraire au ressentiment de sa mère, je courus l’enfermer dans sa chambre, et je revins essayer de calmer la Loredana. Ce ne fut pas facile ; enfin, à force de la raisonner, j’obtins qu’elle laisserait l’enfant se dépiter et rougir de honte toute seule pendant quelques heures. Je me chargeai ensuite d’aller la répriman-