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sur moi d’un air de défi ; mais ils se détournèrent aussitôt, soit que ma figure lui parût sérieuse ou indifférente.

Albany était un homme superbe, un peu trop préoccupé d’imiter tantôt le gracieux laisser-aller de Mélingue, tantôt l’aplomb triomphant de Chollet ; et, comme une copie n’est jamais qu’une copie, il perdait à n’être pas toujours lui-même.

En ce moment, il me parut assez naïf, et j’admirai ses grands yeux pleins de feu, de dédain, d’ironie caressante ou de langueur paresseuse selon les émotions de la partie de jeu, ses traits admirablement dessinés, sa plantureuse chevelure noire, qu’il affectait un peu de mettre, comme par hasard, dans un heureux désordre. Je remarquai la blancheur de ses mains, la petitesse aristocratique de ses pieds finement chaussés, bien que son large pantalon, tombant sur les hanches, ne fût pas d’une fraîcheur irréprochable. Mélange singulier d’élégance et de débraillé, on voyait bien qu’il se sentait beau de la tête aux pieds, et qu’il chérissait tendrement son être. Mais, à la vanité de ses préoccupations sur ce point, on devinait une sorte d’incertitude et comme une secrète souffrance de n’être pas mieux posé dans la vie. Enfin, quoi qu’il fît, il n’avait pas, sous l’œil d’un observateur, ce que Julia avait en face de tout un public, la confiance aveugle en soi-même. Je le jugeai donc moins présomptueux, partant meilleur et plus intelligent.