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par un côté, supérieur à l’autre, et devant agir dans sa sphère sans avoir besoin d’empiéter, par la discussion, sur le domaine d’autrui.

Dans leurs personnes, je voyais le même accord résultant des mêmes différences : l’un, d’un type superbe, tendant à trop de développement dans la sève ; l’autre, frêle descendante d’une race étiolée, qui avait besoin de se régénérer en se mêlant au sang plébéien. Et puis je pensais au bien qu’un couple si probe et si dévoué devait faire autour de lui : Narcisse, actif pour activer le travail et la production ; Juliette, active pour panser les blessures et soigner les fatigues du travail ; l’un tout à fait propre à développer l’industrie qui répand le bienfait de l’aisance ; l’autre tout à fait capable de moraliser l’ouvrier et de lui donner le pain de l’âme.

Je communiquai mes idées à Narcisse, peut-être un peu à l’étourdie, car je vis bientôt plus de tristesse que d’espoir dans son trouble. Il s’obstina à nier la possibilité d’une telle union, et je ne vins pas à bout de lui faire avouer l’obstacle intérieur contre lequel se brisaient, je ne dirai pas les rêves de son imagination, mais les élans de son cœur. Il aimait Juliette avec un respect si religieux, qu’il eût cru la profaner en la désirant, et la retenue de ses épanchements sur ce point fut si entière, que je me demandai si je ne m’étais pas toujours trompé en le supposant amoureux d’elle.