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même. Dutertre est trop passionné pour qu’un orage n’ait pas éclaté ce jour-là sur la tête de la pauvre Olympe. C’est cet orage, c’est donc ma lettre, c’est donc moi qui l’ai tuée ! Je ne m’en consolerai, je ne me le pardonnerai jamais. J’ai voyagé pour m’en distraire, je ne m’en suis pas distrait.

» Un jour que, plongé précisément dans ces souvenirs d’amertume, j’errais sur le Vésuve, je me trouvai face à face avec Nathalie. J’éprouvai contre elle un mouvement de haine et de ressentiment insurmontable. Je voyais en elle l’assassin qui avait saisi l’arme dans ma main imprudente pour la plonger dans le cœur de son père et de l’autre victime. Je l’abordai ; je la suivis ; je l’accablai de sarcasmes cruels, féroces, que les personnes qui l’accompagnaient ne pouvaient comprendre, mais qui pénétraient jusqu’au fond de son âme. Elle fut impassible de douceur et de patience.

» Je m’attachai à ses pas ; je la retrouvais dans toutes ses promenades. Triste et vêtue de deuil, ne paraissant jamais dans le monde, belle d’une beauté qui m’irritait et que je regardais comme une erreur de la Providence, elle inspirait beaucoup de respect et d’intérêt. J’en étais outré ; mais, par considération pour Dutertre, dont le nom m’est devenu sacré, je m’abstenais de parler d’elle. Je m’en dédommageais dans nos rencontres. Je trouvais des prétextes pour la voir, afin de lui faire sentir, à elle seule, mon aversion et mon ressentiment. Sa patience usa ma cruauté, et, un jour où je me trouvai seul avec elle, elle ouvrit son cœur oppressé et me raconta sa vie avec une éloquence, une vérité, une puissance d’humilité qui me subjuguèrent. Elle ne craignit pas de me dire son inclination pour moi, et elle le fit avec une dignité si étrange au milieu de l’humiliation à laquelle je la voyais se con-