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coule mesuré et rafraîchi dans mes veines quand elle me parle de vous avec adoration ; que même mon cœur se dilate à l’entendre et à lui répondre ; enfin, que, là où la divinité est présente, il n’y a plus pour moi de femme ?… Dites ; croyez-vous que je mente en vous disant cela ?

— Non, répondit Dutertre, frappé de ce qu’il entendait, non ! car c’est ainsi que je l’ai aimée quatre ans avant que d’oser le lui dire.

— Je le sais, reprit Amédée, alors que vous hésitiez devant cette chose si grave, un second mariage, vous aimiez bien souvent sans espoir, et, dans ces moments-là même, vous étiez heureux. Eh bien, vous l’étiez moins que moi ; car, dans ces heures de renoncement à votre bonheur, vous ne vous immoliez qu’à un devoir encore mal défini dans votre conscience. Vous n’aviez que la crainte vague de gâter l’avenir de vos enfants. Moi, j’ai la certitude que je tuerais mon père, et vous croyez que je peux nourrir en moi le désir d’être heureux au prix d’un pareil crime ? Non, non ! mon bonheur est plus haut placé que dans la satisfaction de mon propre amour. Il est placé dans le sacrifice de cet amour même, et, si vous m’en ôtez la gloire, vous me laisserez toute ma misère, en m’arrachant ma plus haute, ma souveraine consolation ! Vous avez cédé à votre passion, vous, mon père, parce que vous en aviez le droit ; vous pouviez la légitimer, vous ne pouviez prévoir les maux qu’elle a causés dans votre famille, et qui, après tout, ne sont pas sans remède. Moi qui ne pourrais avoir d’espérance sans rougir, je ne peux pas être vaincu, je ne peux pas être faible ! Et puis, grâce à Dieu, je ne suis pas aimé !

— Grâce à Dieu, dis-tu ? demanda Dutertre étonné.

— Oui, grâce à Dieu, puisque c’est vous qui l’êtes ! répondit Amédée avec l’enthousiasme du dévouement, et