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La salle à manger n’était séparée du salon que par un couloir. Thierray y passa, en recommandant à Éveline de faire le guet à la porte du salon pour être prête à s’enfermer, si Gervais ou Manette venaient à s’éveiller et à faire une ronde. Puis il apporta la tarte aux confitures, des fruits, un fromage à la crème. Il ne trouva pas de vin dans les buffets ; mais Éveline n’en buvait jamais, et elle salua avec acclamation un bol de café froid que Thierray apporta à tout hasard. Le couvert fut mis sur un guéridon, que l’on roula auprès de la cheminée.

Tout cela se fit à deux, en riant, en se faisant de gros yeux et de plaisantes expressions de figure, quand une maladresse menaçait d’éveiller par quelque bruit trop prononcé les échos endormis du manoir. Puis Éveline mangea avec le même appétit qu’elle aurait eu dans un dîner sur l’herbe en famille. Elle trouva tout délicieux, força son hôte à manger aussi, et, se divertissant de toutes choses avec la candeur d’un enfant, elle arriva à une gaieté entraînante.

Troubler par des fadeurs cet épanouissement de son âme, ou l’effaroucher par des ardeurs indiscrètes, eût semblé bien vulgaire, bien bête, bien laid à un esprit aussi élevé que celui de Thierray. Il prit le parti de rire, comme Éveline, au bord du précipice. L’innocence de sa déraison était, après tout, un attrait plus pénétrant pour le cœur qu’un excitant pour les sens. Éveline était un de ces charmants êtres sans vice et sans vertu, dont, par respect, on ne peut songer à faire sa maîtresse, dont, par prudence, on n’ose pas vouloir faire sa femme.

Le meilleur parti à tirer de la circonstance, c’était d’en goûter la douceur sans arrière-pensée, puisque, à tout prix, il fallait s’y soumettre. C’est ce que fit Thierray, sans trop d’effort. Était-ce à lui, d’ailleurs, d’être le moins