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l’entendre. Je vous confesse que nous avons eu parfois du dépit, Nathalie et moi, de nous voir ainsi reléguées à la campagne et de n’aller à Paris qu’à de rares et courtes occasions, comme de petites filles de province qui vont embrasser leur papa, acheter des robes neuves et voir la girafe au Jardin des Plantes. Mais nous avions tort, je le reconnais, puisque nous n’étions pas les victimes oubliées de vos préoccupations industrielles et politiques, mais bien les victimes privilégiées de votre sollicitude et de votre prudence paternelles.

— Tu ne t’en crois pas moins une victime, ma chère enfant, car tu maintiens le mot.

— Passons, mon papa. L’année est longue, il y a des jours de pluie où l’on s’ennuie à la campagne malgré qu’on en ait ; et puis on ne croit pas toujours, pour se résigner, à ces dangers du monde qu’on ne connaît pas. Mais revenons à votre M. Thierray. Nous sommes libres de faire attention à lui si bon nous semble ; voilà votre conclusion, quant à lui. Mais, quant à moi, je comprends moins qu’auparavant la leçon un peu dure que vous m’avez donnée. Si je suis libre de l’aimer, je suis libre de vouloir m’en faire aimer, et la manière dont je m’y prendrai, bonne ou mauvaise, hardie ou timide, savante ou maladroite, ne regarde que moi.

— Et je serai indiscret et déplacé, moi, ton père, si je te dis que tu prends la mauvaise voie et que tu compromets ton bonheur futur par un système faux et fâcheux ?

— Permettez, papa, dit Éveline redevenue folâtre et railleuse, vous avez tous les droits possibles comme excellent père, et, de plus, vous êtes compétent comme homme à succès dans le monde ; mais…

— Qu’est-ce que cela, Éveline ? dit Dutertre étonné