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reprit-il, et vous risqueriez fort de prendre sans vert tout autre que moi, car les hommes, en général, n’en savent pas long sur la manière d’être heureux ; mais j’ai pensé à cela, moi, et je vous dirai mon avis. Permettez-moi de regarder par là sous ces branches. J’ai une ligne de fond à retirer.

Il retira sa ligne et y trouva une mince anguille qu’il mit, en silence, dans son panier sans montrer ni joie ni déception.

— C’est une pauvre prise ! lui dis-je.

— Non pas ! Vu l’appétit que j’ai, c’est un fort bon plat : il me fera deux jours, et je pourrai ne pas pêcher demain… Ah ! ah ! ajouta-t-il en riant, vous aviez fait des théories sur mon compte, n’est-ce pas ? Eh bien, ce n’est pas ça ! Je ne hais pas la pêche, c’est un amusement comme un autre ; mais j’aime encore mieux lire ou rêver, et, quand je fais la guerre à ces innocentes bêtes, c’est uniquement pour manger.

— En êtes-vous là, monsieur ?

— J’en suis là, et je suis content d’en être là. Voilà mon bonheur, à moi ; mais je ne peux pas et je ne veux pas m’expliquer sur ce qui me concerne : nous parlerons de vous, si vous voulez

— Moi, je suis dans le même cas absolument ; je ne dois pas…

— C’est bien, nous parlerons du bonheur en général et au point de vue philosophique. Voici la nuit. Voulez-vous venir me voir demain ? Je vous attendrai à l’entrée du village des Grez, car vous ne trouveriez pas ma niche.

J’ai promis et je tiendrai parole, car ce bonhomme a pris mon cœur. Je ne sais pas s’il est extraordinai-