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enfance, il l’avait crue atteinte de quelque mal chronique et lui avait témoigné une amitié mêlée de sollicitude. Enfin il avait disparu cinq ans entiers, et, lorsqu’il vint s’établir définitivement à Dolmor, il retrouva sa filleule auprès de sa vieille mère, la consolant de son mieux et l’aidant à attendre le retour de l’enfant longtemps désiré.

Alors Marianne changea ses habitudes et ne vint plus tous les soirs amuser et soigner la vieille voisine ; elle choisit les jours où Pierre s’absentait ou bien ceux où, absorbé par quelque travail, il la faisait prier de venir faire la partie de madame André.

Cela durait depuis un an, et Pierre n’avait guère songé à étudier Marianne. Il était arrivé accablé de deux fardeaux également lourds, le dégoût d’un passé désillusionné et l’effroi d’un avenir vide de toute illusion. Il ne se dissimulait pas que sa vie, employée à s’abstenir de bonheur, allait être plus insupportable encore, s’il n’éteignait pas en lui d’une manière absolue jusqu’au rêve d’un bonheur quelconque. Il était résolu à se soumettre à sa destinée, à ne plus lutter contre l’impossible, à avoir l’esprit aussi modeste que le caractère, à se faire égoïste s’il pouvait en venir à bout, ou tout au moins positif, ami de ses aises, jaloux de sa sécurité, puisqu’il n’avait plus que ce bien à espérer, la certitude de ne pas mourir de faim et de froid au fond d’une mansarde ou d’anémie sur un lit d’hôpital.

Pourtant, depuis quelques jours, Pierre André était en proie à une sorte de fièvre. La création de sa maisonnette et de son jardin, qui l’avait absorbé et intéressé suffisamment jusque-là, était à peu près achevée. En outre, il avait reçu une lettre qui l’avait, on ne sait pourquoi, profondément troublé.