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trois mots : Je me souviens ! Je n’avais pas su d’avance les difficultés de l’éloignement, l’excessive fatigue de ces voyages qu’il appelait la saison de ses récoltes. Je ne m’étais pas dit que je ne pourrais pas modérer et modifier cette vie terrible, que je le supplierais en vain de ne pas se tuer ainsi, que mes lettres mêmes ne lui parviendraient pas ou ne lui parviendraient jamais à temps pour influer sur ses résolutions. Il m’avait dit dans le sentier du parc, au bord de l’eau, des paroles que j’aurais dû peser. « Vous voulez du temps, vous en aurez ! mais vous avez tort. Vous me rejetez dans cette vie dévorante dont je voulais sortir. C’était l’heure ! » — Et j’avais laissé fuir cette heure propice qui ne reviendrait peut-être plus ; j’avais demandé un an, moi dont toutes les années s’écoulaient semblables les unes aux autres, à un homme dont la destinée était livrée à l’éternel imprévu ! Je n’avais pas saisi cette occasion de le sauver des excès du travail et de la passion des aventures. Le jour où il succomberait, ce serait ma faute !

Je me faisais d’amers reproches, j’étais comme brouillée avec moi-même. Quand mon cœur me criait qu’il était déchiré, saignant, mon cerveau lui répondait : « Tu l’as voulu, tu as été lâche ; il fallait l’emporter sur la raison, lui imposer silence, crier plus haut qu’elle ne parlait. À présent, tu saignes, c’est trop tard, tant pis pour toi !

Quand ce grand et douloureux abattement se fit