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XXVIII.


La trêve était bien près d’expirer lorsque M. Lemontier arrivait à Aix. Son premier soin, après avoir causé avec son fils, fut de le faire partir pour Chêneville, une terre qu’il possédait dans la vallée du Rhône, au-dessous de Lyon ; là, le jeune homme recevrait en quelques heures les communications nécessaires. C’était l’époque où, tous les ans, le père et le fils habitaient cette résidence, où Émile avait été élevé et qu’il aimait beaucoup.

M. Lemontier sentait que la présence d’Émile ne pouvait qu’augmenter l’irritation du général et stimuler la vigilance hostile de l’abbé. D’ailleurs, si la lutte de famille prenait quelque échappée au dehors, il ne fallait pas que Lucie fût compromise par le voisinage de l’objet de cette lutte. Émile souffrit beaucoup de s’éloigner du théâtre des événements et de se sentir réduit à l’inaction ; mais il comprit la sagesse de son père : il remit son sort entre ses mains et partit, cachant ses angoisses et surmontant sa douleur. Émile avait une grande force de volonté, on a pu en avoir la preuve dans ses dernières lettres. Il n’était peut-être pas ce qu’au temps de Grandisson on eût appelé un jeune homme accompli ; mais il était naïf, généreux, enthousiaste, et d’un caractère assez solide pour porter la spontanéité de ses élans. S’il avait les jalousies de l’amour, il savait les renfermer dans les limites de la justice. S’il avait les ferveurs du néophyte philosophe, il n’y mêlait pas le sot orgueil de la dispute, et son père le calmait sans peine, car son père était pour lui le type de la raison et de la bonté.