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Elle a passé deux ou trois mois à Paris dans le couvent où était Élise Marsanne. Malgré une certaine différence d’âge, elles s’aimaient beaucoup, et, en venant à Aix, Élise se faisait une grande fête de la revoir. Elle a été tout de suite lui rendre visite avec sa mère. Le soir même, elle m’a parlé d’elle.

« Si vous connaissiez Lucie, me disait-elle, vous n’auriez pas assez de mots à grand effet dans votre vocabulaire exalté pour dire l’impression qu’elle vous causerait.

— C’est donc une merveille ?

— Ah ! une merveille ! Voilà déjà ! »

Et la bonne Élise de rire.

Moi aussi, je riais. Le surlendemain, j’ai rencontré Lucie chez ces dames. Élise me regardait en riant toujours. J’étais très-calme, très-froid ; si froid et si calme, que, Lucie partie, j’ai dit à Élise que son amie était très-bien.

Mais le coup était porté, vois-tu ! Si j’avais dit seulement trois paroles, je me serais trahi et rendu ridicule, j’aimais Lucie. Pourquoi ? Oui, au fait, pourquoi Lucie et pas une autre ? Il y en a ici à choisir pour objet de mes rêves, des demoiselles plus ou moins à marier, des brunes, des blondes, des Anglaises sentimentales, des Parisiennes pimpantes, des Allemandes toutes roses, des Italiennes toutes pâles. Lucie n’est rien de tout cela. Elle n’est peut-être pas jolie ; je n’en sais rien. Elle m’a regardé, elle m’a salué, je lui ai dit trois mots insignifiants, j’avais probablement l’air stupide. Elle m’a vaguement souri, et avec tout cela elle m’a pris mon cœur comme si elle me le tirait de la poitrine avec ses deux mains, et elle me l’a emporte avec elle, probablement sans y attacher plus d’importance qu’à une feuille que l’on cueille en passant et par distraction à une branche du chemin.