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— Tout cela, Lucie, a été obtenu par le sentiment religieux pourtant, n’en doutez pas ; mais il y a manqué, je l’avoue, la crainte du diable et la croyance à l’enfer.

— Ne me parlez pas de l’enfer, répondit-elle vivement, je n’y ai jamais cru ! Mais ne parlons pas du tout de nos dogmes, parlons de nous. J’adore votre père, me voilà enthousiaste de lui,… et jalouse aussi ! Voyez, Émile, est-il possible, à vous qui avez sous les yeux à toute heure un tel idéal, de chérir passionnément une pauvre fille comme moi ?

— Oui, et d’autant plus, même en supposant que vous soyez la pauvre fille que vous dites. Les grands amours naissent des grands amours.

— Pourtant voyez ! reprit-elle ; vous dites qu’un prêtre, un confesseur, un directeur de ma conscience serait votre rival, qu’il vous prendrait mon âme, et qu’entre deux êtres qui s’aiment il ne peut y avoir que Dieu !

— Je n’ai jamais dit entre, j’ai dit en eux et avec eux.

— Mais votre père est un homme pourtant ! Sera-t-il notre confesseur et notre conseil ? Je le veux bien, moi ; mais alors que devient notre théorie contre l’intervention du père spirituel ?

— Je vais vous dire la différence, Lucie ! L’intervention d’un père comme le mien serait discrète, et notre recours à lui serait libre. Un père comme le mien n’entendrait pas la confession de l’un sans entendre celle de l’autre, et il n’exigerait ni l’une ni l’autre au nom de notre salut. Je comprendrais très-volontiers, à défaut de bons parents et d’amis sévères, le rôle d’un prêtre saint et sage qui consentirait à donner ses conseils et ses lumières à deux amants, à deux époux attirés vers lui d’un commun accord par une égale confiance, et qui,