Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bouche ! Je l’écoutais avec stupeur, je le regardais agir. Quelle énergie ! J’avais peur pour lui, car les vaches étaient pressées de revoir leurs veaux enfermés dans une grande étable, et elles menaçaient de tout briser. Enfin Gaston a simulé un départ et a fait des adieux en résistant à ses compagnons, qui voulaient le garder la nuit et lui disaient qu’il était fou de se mettre en voyage à pareille heure. Ne pouvant les éloigner de moi, il voulait m’emmener ailleurs, et nous avons gagné avec Ambroise une autre solitude où, dans une grange déserte et à demi ruinée, Ambroise faisant sentinelle au dehors, nous avons pu causer, mon enfant et moi. En retrouvant sa voix douce, son langage pur, sa prononciation exquise comme celle de Salcède, je m’émerveillais de ces soudaines transformations qui se produisent en lui, comme s’il y avait en mon enfant deux hommes différents.

» — N’en soyez pas surprise, me disait-il. Au fond, il n’y en a qu’un, ou du moins il y en a un qui domine, c’est le sauvage.

» Et, comme je me récriais, il m’a expliqué ses tendances telles qu’il les connaît et s’en rend compte à présent. Il aime la nature avec passion et ne se plaira jamais à d’autres spectacles ; les arts lui parlent peu, il les ignore et ne sent pas le besoin de les connaître. Il est artiste pourtant par le sentiment poétique des beautés naturelles ; mais il ne se contente pas d’une admiration vague. Il veut