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émouvoir par des larmes de femme ; tu as, sans me consulter, placé l’enfant illégitime dans des conditions où il était facile à sa mère de le retrouver. Tu as su qu’elle le revoyait, qu’elle revoyait Salcède, et tu ne m’as point averti ; d’autres me l’ont appris, et je n’ai pu m’y opposer, sachant que je ne serais pas secondé par toi et ne pouvant me fier à aucun autre sous peine de voir ébruiter mon secret. Tu as voulu être bon, tu as pris plaisir à te rendre indépendant. Tu as rougi de l’obéissance aveugle, tu as été fier de ton propre jugement, tu t’es cru plus sage et meilleur que moi, et à présent vois ce que tu as fait, vois ce qui arrive !

Je crus entendre ces paroles à mes oreilles. Je crus voir se lever devant moi la figure livide et contractée que j’avais vue si peu de jours auparavant sur son lit de mort. Je fus pris de terreur, je sortis précipitamment de la chapelle ; je retournai auprès de Roger sans aucun projet arrêté, la tête perdue. Il était seul et se promenait dans sa chambre en fumant.

— Ah ! te voilà ? me dit-il. Tu t’es dérobé, tu n’as pas voulu rendre témoignage à la vérité. Pourquoi ? me diras-tu pourquoi, à présent que nous sommes seuls ?

— Vous vouliez me faire jurer que votre père était aliéné, lui répondis-je ; vous savez bien que cela n’est pas vrai et que je ne pourrai jamais l’affirmer.