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dont les jaloux et les commères s’étaient moqués d’abord comme d’une chimère et d’un fantôme, mais qui, chaque jour, prenait consistance et réalité.

Quand on le vit passer lestement sur son petit cheval, escorté de Clindor et d’Aristandre, à travers les rues de La Châtre, on commença à écarquiller les yeux et à se dire :

— C’était donc vrai ?

On demanda comment il s’appelait et comment il s’appellerait. Le marquis, homme de qualité, se résignerait-il à avoir pour héritier un simple petit gentillâtre ? Mais avait-il le droit de léguer son titre et ses trois gelines diadémées d’argent à un Bouron ? Le roi actuel permettrait-il cela ? N’était-ce pas contraire aux lois et aux usages de la noblesse ?

Grave question !

On en parla quinze jours durant, et puis on n’en parla plus ; car on se lasse vite des choses ardues, et, quand on voyait le vieux marquis et son petit comte aller dîner chez quelque voisin, tous deux habillés identiquement de même, soit en blanc à la paysanne, soit en bleu de ciel cannetillé d’argent, ou en satin abricot avec les plumes blanches, ou en vert gai, ou en rose de pêche, avec des rubans tissus d’argent et d’or, et tous deux gracieusement étendus sur les coussins cramoisis de la belle carroche, traînés par leurs beaux grands chevaux aussi empanachés qu’eux-mêmes, et, suivis d’une escorte de laquais qu’on eût pris pour des seigneurs, tant ils étaient bien montés, bien armés et reluisants de dorures, il n’était, soit dans la ville, soit dans les villages, soit dans les châteaux, noble, bourgeois ou vilain qui ne se levât en disant :

— Sus ! sus ! j’entends venir la grande carroche au