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Triboudet, de Sancerre, avait seul mérité le prix ; mais il avait été obligé de le partager avec Boiron, de Bourges, pour avoir pris un faux nom, afin de devancer son tour ; de quoi les gens de Sancerre avaient bien crié, car ils eussent tenu à honneur de prouver que leurs tireurs étaient les meilleurs du royaume, et l’on trouvait bien de l’injustice dans la division du prix. C’était évidemment pour ne point mécontenter ceux de Bourges, que l’on avait rendu ce mauvais jugement.

— En effet, disait Guillaume en narrant avec le feu de la jeunesse, ou Triboudet a gagné, ou il a perdu. S’il a gagné, il a droit à tout l’honneur et à tout le profit de la chose. J’accorde qu’il est coupable d’avoir pris un faux nom. Eh bien, que, pour cette faute, on le punisse de quelque amende ou de quelques jours de prison, mais qu’il n’en soit pas moins le vainqueur du jeu ; car l’honneur du talent est chose sacrée, et, malgré que nous n’aimions pas beaucoup les vieux sorciers sancerrois, il n’est pas un gentilhomme qui n’ait protesté contre le passe-droit fait à Triboudet. Mais, que voulez-vous ! les grosses villes mangeront toujours les petites, et les gros robins de Bourges prennent sans façon le haut du pavé sur toute la bourgeoisie de la province. Ils le prendraient bien volontiers sur la noblesse, si on les laissait faire ! Je m’étonne qu’Issoudun ait concouru. Argenton s’en est abstenu, disant que le prix était donné d’avance, et que rien ne valait devant les juges de Bourges, sinon les champions de Bourges.

— Et ne pensez-vous pas que le prince se soit mêlé de cette injustice ? demanda le marquis.

— Je n’en répondrais pas ! Il fait grandement la cour au peuple de sa bonne ville ; à telles enseignes qu’il s’est mis dans des frais, malgré qu’il n’aime guère à dépenser