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amer, et cela me fait plus de mal que vous ne pensez.

— Il y a plus d’orgueil que tu ne penses, toi, dans cette douceur puérile. Ne suis-je pas ton père, ton meilleur ami ? Ne dois-je pas te faire entendre la vérité quand tu t’abuses et te ramener quand tu t’égares ? Allons ! arrière la vanité entre nous ! Je fais de ton intelligence plus de cas que toi-même, puisque je ne veux pas la laisser se détériorer par de mauvais aliments. Écoute-moi, Émile ! Je sais fort bien que c’est la mode chez les jeunes gens d’aujourd’hui de se poser en législateurs, de philosopher sur toutes choses, de réformer des institutions qui dureront plus longtemps qu’eux, d’inventer des religions, des sociétés, une morale nouvelle. L’imagination se plaît à ces chimères, et elles sont fort innocentes quand elles ne durent pas trop longtemps. Mais il faut laisser cela sur les bancs de l’école, et avant de la détruire, connaître et pratiquer la société : on s’aperçoit bientôt qu’elle vaut encore mieux que nous, et que le plus sage est de s’y soumettre avec adresse et tolérance. Te voilà trop grand garçon pour gaspiller tes désirs et tes réflexions sur un sujet sans fond. Je désire que tu t’attaches à la vie réelle, positive ; qu’au lieu de t’épuiser en critiques sur les lois qui nous gouvernent, tu en étudies le sens et l’application. Si cette étude, au contraire, te porte à un esprit de réaction et de dépit contre la vérité, il faut l’abandonner, et aviser à trouver quelque chose d’utile à faire et à quoi tu te sentes propre. Voyons, nous sommes ici pour nous entendre et pour conclure : pas de vaines déclamations, pas de dithyrambes poétiques, contre le ciel et les hommes ! Pauvres créatures d’un jour, nous n’avons pas de temps à perdre à interroger notre destinée avant et après notre courte apparition sur la terre. Nous ne résoudrons jamais cette énigme. Nous avons pour devoir religieux de travailler ici-bas sans relâche et de nous en aller sans murmure. Nous de-