Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/290

Cette page n’a pas encore été corrigée

JACQUES. — Je vous réponds de cela, quant à lui et quant à ses compagnons. Leur vie est pure au milieu d’une activité et d’un enjouement intarissables. Il n’y a chez eux ni soucis d’ambition, ni vanité de parvenu chose bien rare chez les artistes de notre temps.

RALPH. — Je vous objecterai qu’ils ne sont pas encore parvenus, ceux-là.

JACQUES. — Pardonnez-moi, ils le sont relativement. Ils sont tous fils d’artisans, et comme ils ont du talent, ou sont en train d’en avoir, les voilà montés d’un cran sur cette échelle imaginaire de la noblesse des conditions. Aucun d’eux n’a eu le moyen ou l’occasion de faire ses classes. Les voyez-vous pour cela moins intelligents, moins capables de comprendre leur art et nos idées ?

RALPH. — Non certes. Il me semble, au contraire, qu’ils ont moins de défense intérieure contre les conseils de l’équité, que ceux qui ont passé sous la toise de l’éducation universitaire. Savez-vous que je suis frappé de l’existence à la fois excentrique et régulière de ces trois enfants ? À quoi attribuez-vous ce bonheur insouciant, et pourtant légitime, qu’ils savent préserver des atteintes de la vie générale extérieure ? Je ne saisis pas bien les nuances de leurs caractères, et, dans leur gaieté communicative comme dans leur adhésion sympathique à ce qui leur vient de bon de la part des autres, je trouve quelque chose comme un accord parfait en musique ; j’ai encore vu peu d’artistes depuis mon retour en France. Sont-ils tous dans ces conditions ?

JACQUES. — Mon ami, l’art a pour but la gloire dans les temps de gloire, et l’argent dans les siècles d’argent. Les artistes subissent vivement le contre-coup des époques qui les produisent, parce que ce sont des êtres de sentiment et d’imagination, impressionnables comme des femmes ou comme des enfants. Vous trouverez donc peu d’artistes parvenus qui ne soient pas égoïstes, et, par conséquent, plus partisans de la cour de Russie que de la France pauvre et libre. Ils craignent les révolutions par crainte pour leur bien-être, et, en cela, les plus subtils et les plus char-