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d’un domino de bal.— Ne soyez pas effrayé, me dit la petite Béatrice en me prenant sans façon par-dessous le bras, nous sommes trois. Celle-ci est notre sœur aînée. Ne lui parlez pas, elle est sourde. D’ailleurs il faut nous suivre sans dire un mot, sans faire une question. Il faut vous soumettre à tout ce que nous exigerons de vous, eussions-nous la fantaisie de vous couper la moustache, les cheveux et même un peu de l’oreille. Vous allez voir des choses fort extraordinaires et faire tout ce qu’on vous commandera, sans hasarder la moindre objection, sans hésiter, et surtout sans rire, dès que vous aurez passé le seuil du sanctuaire. Le rire intempestif est odieux à notre chef, et je ne réponds pas de ce qui vous arriverait si vous ne vous comportiez pas avec la plus grande dignité.

— Monsieur engage-t-il ici sa parole d’honnête homme, dit à son tour Stella, la seconde des deux sœurs, à nous obéir dans toutes ces prescriptions ? Autrement, il ne fera point un pas de plus sur nos domaines, et ma sœur aînée que voici, et qui est sourde comme la loi du destin, l’enchaînera jusqu’au jour, par une force magique, au pied de cet arbre où il servira demain de risée aux passants. Pour cela il ne faut qu’un signe de nous ; ainsi, parlez vite, Monsieur.

— Je jure sur mon honneur, et par le diable, si vous voulez, d’être à vous corps et âme jusqu’à demain matin.

— A la bonne heure, dirent-elles ; et me prenant chacune par un bras, elles m’entraînèrent dans un dédale obscur de bosquets d’arbres verts. Le domino noir nous précédait, marchant vite, sans détourner la tête. Une branche ayant accroché le bas de son manteau, je vis se dessiner sur la neige une jambe très-fine et qui pourtant me parut suspecte, car elle était chaussée d’un bas noir avec une floche de rubans pareils retombant sur le côté,