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répondais pas, atterrée que j’étais de ne pouvoir me soustraire à l’outrage de pareilles prétentions et à l’humiliation cruelle de les entendre exprimer, cet odieux homme ajouta, croyant sans doute que j’hésitais : « Et pourquoi ne vous prononceriez-vous pas tout de suite ? Faut-il vingt-quatre heures pour reconnaître le seul parti raisonnable qu’il y ait à prendre, et pour répondre à l’amour d’un galant homme, encore jeune, et assez riche pour vous faire habiter, en pays étranger, une plus jolie résidence que ce vilain château-fort ? »

« En parlant ainsi, l’ignoble recruteur se rapprochait de moi, et faisait mine, avec son air à la fois gauche et impudent, de vouloir me barrer le passage et me prendre les mains. Je courus vers les créneaux de la tour, bien déterminée à me précipiter dans le fossé, plutôt que de me laisser souiller par la moins significative de ses caresses. Mais en ce moment un spectacle bizarre frappa mes yeux, et je me hâtai d’attirer l’attention de l’adjudant sur cet objet, afin de la détourner de moi. Ce fut mon salut, mais hélas ! il a failli en coûter la vie à un être qui vaut peut-être mieux que moi !

« Sur le rempart élevé qui borde l’autre rive du fossé, en face de l’esplanade, une figure, qui paraissait gigantesque, courait ou plutôt voltigeait sur le parapet avec une rapidité et une adresse qui tenaient du prodige. Arrivé à l’extrémité de ce rempart, qui est flanqué d’une tour à chaque bout, le fantôme s’élança sur le toit de la tour, qui se trouvait de niveau avec la balustrade, et gravissant ce cône escarpé avec la légèreté d’un chat, parut se perdre dans les airs.

« — Que diable est-ce là ? s’écria l’adjudant, oubliant son rôle de galant pour reprendre ses soucis de geôlier. Un prisonnier qui s’évade, le diable m’emporte ! Et la sentinelle endormie, par le corps de Dieu ! Sentinelle !